Les logiciels de géométrie dynamique (Cabri, Geogebra...) semblent particulièrement adaptés quand le but recherché n'est pas exclusivement de produire une démonstration mais aussi ou surtout d'établir une conjecture.
Leur utilisation en classe, par les élèves ou l'enseignant, peut avoir pour conséquence une évolution du contenu des énoncés.
Dans des classes de cinquième, nous avons proposé un énoncé « classique » où l'utilisation d'un tel logiciel semble a priori pertinente. Les observations faites sur l'attitude des élèves et sur le rôle dévolu au logiciel nous ont conduits à élaborer une forme d'énoncé qui nous paraît plus appropriée pour faire établir par les élèves une conjecture non directement donnée par le logiciel, et pour faire émerger le besoin d'une preuve.
La figure ci-contre représente un cercle de centre O et deux de ses diamètres perpendiculaires. OIAJ et OKBL sont deux rectangles. Quel est le plus long des deux segments [IJ] ou [KL] ? | ![]() |
Nous nous sommes intéressés à ce problème dans le cadre d'une recherche IREM sur l'utilisation des logiciels de géométrie dynamique. Nous étions en quête de problèmes de recherche où les élèves pourraient observer, conjecturer, ébaucher une démonstration, ou du moins en saisir l'intérêt.
Ce problème ne met en jeu que des connaissances simples, en principe acquises à l'entrée en cinquième : les diagonales d'un rectangle ont la même longueur, les rayons d'un cercle ont la même longueur. La difficulté réside dans le fait de devoir considérer un objet de deux points de vue, un segment est à la fois diagonale d'un rectangle et rayon du cercle. C'est une caractéristique que nous avions identifiée comme importante dans l'apprentissage de la démonstration en géométrie.
Une première expérimentation « sauvage » a été réalisée avec un groupe d'élèves familiers du logiciel Cabri, en fin de cinquième. Placés devant la figure ci-contre, ils avaient la consigne de faire toutes les observations possibles. (Déplacer les points M et R pour vous faire une idée.) |
Lorsque nous avons décidé d'expérimenter ce problème dans plusieurs classes de cinquième, une première modification a été de proposer un seul rectangle, étant donné que le logiciel permet de visualiser les différentes positions de ce rectangle. La démonstration s'en trouve simplifiée sans altérer le coeur du problème : la nécessité de concevoir [OM] à la fois comme rayon du cercle et comme diagonale du rectangle. Une deuxième modification a été de leur faire construire la figure. En effet, nous visions accessoirement à développer une certaine familiarisation avec le logiciel. De plus le fait d'avoir à construire la figure de départ peut en faciliter l'analyse. Enfin, pour des raisons d'efficacité (gestion plus simple), nous avons décidé d'une consigne centrée sur l'objectif.
La figure ci-contre correspond au programme de construction suivant : Programme de construction : Les droites d1 et d2 sont perpendiculaires. On appelle O leur point d'intersection. C est un cercle de centre O, M est un point de ce cercle. La perpendiculaire à la droite d1 passant par le point M coupe d1 en N. La perpendiculaire à la droite d2 passant par le point M coupe d2 en P. 1° A l'aide du logiciel CABRI, faire une conjecture à propos de la longueur NP quand M se déplace sur le cercle C ? 2° Faire sur votre cahier un schéma (figure) qui illustre cette conjecture. 3° Qu'est-ce qui permet d'expliquer l'affirmation énoncée dans la conjecture ? | ![]() |
Figure cabri : ( Vous pouvez faire varier la taille du cercle en agissant sur le point A) |
Dans cette deuxième version, nous avons retrouvé les difficultés de la première expérimentation : les élèves disent facilement que la longueur PN ne change pas, mais le justifient en disant par exemple « PN est toujours égal à 4cm ». Il faut s'appuyer sur les variations de taille du cercle pour leur faire prendre réellement conscience de l'invariance de PN.
La recherche d'une preuve s'est heurtée à deux écueils.
- Le logiciel donne un résultat qui leur semble indiscutable et qui ne les intrigue pas suffisamment pour susciter un besoin d'explication.
- D'autre part la fermeture de la consigne induit une limitation du champ d'exploration, et ils n'ont pas assez d'observations pour construire la preuve. Pour aborder celle-ci, il faut leur demander de reprendre les observations, avec toute liberté de tracer, mesurer ...bref revenir à un dispositif assez semblable à celui de la première situation.
Comme prévu, cependant, le fait d'avoir un seul rectangle allège l'explication, une fois trouvée l'idée de la preuve.
Cette deuxième expérimentation nous a amenés à chercher comment transformer ce problème pour en faire une vraie situation de recherche où les élèves puissent produire une conjecture, qui ne leur apparaisse pas comme un fait d'observation indiscutable, mais comme une véritable découverte.
Ce qui rend l'invariance de la longueur PN immédiatement perceptible, c'est le fait que M soit lié au cercle. Nous avons décidé de transformer M en point libre dans le plan et donc d'inverser la question :
Où faut-il placer M pour que NP ait une longueur constante donnée ?
1° Faire la construction suivante avec le logiciel CABRI.
On veut trouver tous les emplacements possibles du point M tels que le segment [AB] mesure 5cm. |
fig 1 | fig 2 | fig 3 |
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En général, ils trouvent d'abord une position qui remplit les conditions puis d'autres par symétrie. Il faut les encourager à poursuivre la recherche pour progressivement les découvrir toutes. Quelques élèves, malgré les incitations, donnent pour lieu un carré ou un rectangle, à partir de seulement 4 emplacements.
Pour la plupart, cependant, le cercle se dessine au fur et à mesure de la recherche : « ... à force de multiplier les emplacements du point M, ça forme un cercle. »
Pour les élèves, tous les emplacements sont sur le cercle, ce qui ne signifie pas nécessairement que le cercle est identifié comme lieu, comme ensemble de tous les emplacements. Certains disent qu'il y a 8 emplacements sur le cercle, ou 16. D'autres parlent d'une infinité : « Sur un cercle il y a une infinité de rayons et les emplacements de M sont sur chaque extrémité de rayon ». Mais qu'entendent-ils par là ?
Quelques élèves construisent ensuite le cercle de centre O et de rayon 5cm. Ils vérifient expérimentalement leur réponse en posant simplement le point mobile M sur le cercle.
Après une mise en commun et l'accord sur la conjecture, le professeur amène la classe à répondre aux questions suivantes : Est ce que c'était prévisible ? Est ce qu'on en est sûr ? Comment peut-on l'expliquer ?
La recherche d'une preuve est difficile. Beaucoup d'élèves en restent à l'observation : « le rayon du cercle est de 5 cm et donc forcément AB fait 5 cm ». Quelques élèves tracent la deuxième diagonale du rectangle et perçoivent le segment [AB] comme à la fois diagonale d'un rectangle et rayon du cercle : « Comme les rayons du cercle mesurent 5 cm et que les rayons servent de diagonales au rectangle et comme dans les rectangles les diagonales sont de même longueur donc BA = 5 cm. »
Le bilan est ensuite fait à l'aide du vidéo-projecteur pour aboutir à la validation de la conjecture.Dans la première version, l'ouverture de la consigne a pour résultat une grande hétérogénéité des attitudes et des réponses. Il faut alors relancer les plus faibles, jouer sur les interactions, et pour certains tout se joue au moment du bilan final.
Dans la deuxième expérimentation, nous avons tenté de mieux cibler et contrôler la séance. Nous nous sommes davantage focalisés sur la preuve, au détriment de la phase de recherche et d'exploration. Mais la conjecture étant immédiate, il est clair que les élèves font confiance à l'ordinateur, sont convaincus du résultat, donc peu motivés pour poursuivre l'exploration et chercher une preuve.
Le souci de faire émerger le besoin de preuve nous a conduits à modifier complètement le problème.
Dans la dernière approche, les mesures données par le logiciel ne sont pas utilisées pour donner directement un résultat, mais permettent de faire émerger peu à peu une conjecture. L'appui sur une valeur numérique (5 cm) est facilitant, sans nuire à la généralité du problème.
La validation par le logiciel reste possible mais correspond à une approche expérimentale (l'expérience consiste à construire le cercle que l'on pense être le lieu).
De fait, des trois versions expérimentées, seule la dernière a créé une réelle recherche, une véritable découverte. La recherche du lieu a créé une émulation entre les élèves et une envie de découvrir les « bons emplacements ». Tous les élèves ont pu rentrer dans la phase de recherche.
Dans les trois cas, la recherche de la preuve pose des difficultés aux élèves ainsi que son assimilation, mais dans la dernière version, elle répond, comme nous le souhaitions, à une interrogation qui a eu le temps de s'élaborer : « Comment cela se fait-il que...? »