Qu’est-ce qui cloche ?
Qui n’a pas eu la surprise, au cours de la résolution d’un problème mathématique, de tomber sur un résultat tout à fait surprenant, voire en contradiction avec ce à quoi il s’attendait. Et de se demander ce qui devait être remis en cause : le résultat obtenu, ou le résultat attendu ? Et dans ce dernier cas, le raisonnement élaboré ou les présupposés implicites sur lesquels s’appuient le raisonnement ? A quoi se fier donc, pour savoir dans quelle direction partir pour étudier « ce qui cloche ». La source de la contradiction est-elle de nature logique, par exemple parce que j’ai utilisé un raisonnement non valide ; ou de nature mathématique, parce que j’ai mobilisé un ou des théorèmes en dehors de leur domaine de validité, ou parce que j’ai attribué aux objets que je manipule des propriétés qu’ils ne possèdent pas, ou encore à des paires, triplets ou n-uplets d’objets des relations qu’ils ne satisfont pas ? Ou bien encore parce que je suis tombé dans l’un de ces pièges que le langage naturel nous tend régulièrement.
Évidemment, le plus sûr, c’est de se fier à ce qui est pour moi solide, vraiment très solide ; ce dont dans je ne suis pas prêt à douter. Alors, certains d’entre nous vont commencer par analyser la structure logique du raisonnement, pour essayer de débusquer le pas défectueux. D’autres vont plutôt vérifier qu’ils ont bien utilisé les bons théorèmes, au besoin en allant vérifier dans un ouvrage de référence l’énoncé exact d’un théorème, en particulier l’antécédent qui délimite ses conditions d’application. D’autres encore vont tenter de clarifier les énoncés mathématiques, donnés le plus souvent en langue naturelle, en les formalisant, pour s’assurer qu’ils ont bien compris le problème. D’autres enfin vont se retourner vers les objets (les nombres, les suites, les fonctions, les solides, les figures géométriques, les matrices, les structures etc...), pour essayer de voir s’ils vérifient bien les propriétés ou s’ils satisfont bien les relations attribuées. Dans ce cas, il est nécessaire que ces objets soient suffisamment familiers pour que l’on puisse retirer de ce travail d’exploration des informations fiables sur la situation, et retourner voir ce que l’on peut en tirer du côté des élaborations théoriques en cours : énoncé de nouvelles propriétés ; définition de nouveaux objets ; élaboration de preuve etc.... On peut dire alors que l’on rentre dans une démarche de type expérimental, caractérisée par le va-et-vient entre les objets familiers qui constituent en quelque sorte le domaine d’expérience et les élaborations théoriques rendues nécessaires pour résoudre le problème. Les outils à notre disposition pour ce type d’exploration sont nombreux : objets mathématiques naturalisés (par exemple les entiers naturels et les quatre opérations sur les entiers au niveau du collège) ; instrument de calcul, de construction, machines mathématiques, traceurs de courbes, logiciels de géométrie, de calcul formel, tableurs etc....Ils ne peuvent cependant faire partie de notre domaine d’expérience que si nous sommes capables d’interpréter les résultats qu’ils nous fournissent. On voit là se dessiner un programme qui pourrait nourrir les laboratoires mathématiques que certains d’entre nous appellent de leur vœux et qui donneraient du corps à une épreuve pratique de mathématiques.
En attendant, il ne fait aucun doute que ce nouveau numéro de L@ feuille à problèmes, comme les précédents, ouvre des pistes pour une telle perspective.
Viviane DURAND-GUERRIER
(Enseignant chercheur en Didactique des mathématiques)
|